Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants
(Lc 20, 38)
Dans le film du cinéaste danois Dreyer, Ordet, qui signifie La Parole, tourné en 1955, un jeune époux perd son épouse en couches, une magnifique jeune femme, et toute la maison entre dans le grand silence du deuil. Un des enfants arrête la pendule du salon. Le vieux père de famille répète comme un douloureux refrain la parole de Job : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté, que le Nom du Seigneur soit béni » (Job 1, 21), puis il dit à son fils que l’âme de son épouse est vivante avec Dieu. Mais le fils répond ces mots si justes : « Mais son corps? J’aimais son corps ». Comme elle est vraie cette parole! Ce que nous aimons chez les êtres, c’est leur présence charnelle, leur manière d’apparaître, c’est le souffle fragile de leur vie, le vase d’argile de leur corps, de leur odeur, de leurs gestes, de leurs vêtements qui font le charme indéfinissable d’une personne où les « parfums les couleurs et les sons se répondent » comme l’écrit Baudelaire dans son poème Correspondance. La personne est une correspondance entre le visible et l’invisible, elle est l’invisible d’une âme vivante que le corps visible manifeste.
Les chrétiens respectent le corps comme la « harpe de l’esprit » selon l’expression de saint Jean Chrysostome, comme le signe de l’âme, comme la mémoire d’une vie, et ils ensevelissent les défunts en rendant hommage à la dignité de leur corps promis à la résurrection. Les païens disaient des premiers chrétiens : « Ils sont le peuple qui aime le corps ». Nous refusons d’idolâtrer le corps, selon l’esprit du monde, de le déifier dans sa jeunesse et sa force tout en le méprisant dans sa fragilité et sa vulnérabilité. Mais nous aimons le corps comme une « tente de la rencontre », un Temple de la Présence divine, et nous respectons notre corps en tous ses états. Dans sa jouissance, dans sa souffrance et même dans sa mort puisque nous l’encensons et nous le bénissons comme la mémoire d’une vie passée et la promesse d’une vie éternelle. Les morts ressusciteront comme le Christ est ressuscité. Nous serons les héritiers de sa résurrection. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.
Père Luc de Bellescize