Le souffle et la parole
La première manifestation de Dieu dans la Bible est celle de l’Esprit, du Souffle. L’Écriture elle-même est inspirée, c’est à dire qu’elle est parcourue d’un souffle. Au commencement la terre était vide et vague – tohu bohu en hébreu -, les ténèbres couvraient l’abîme et le souffle de Dieu – le ruah – tournoyait sur les eaux comme le vol d’une colombe, comme un rugissement de vie. La première réalité du monde est le tournoiement du Souffle de Dieu, avant même la Parole créatrice. Quand l’homme est tiré de la glaise du sol, Dieu souffle sur lui, et il devient un être vivant, c’est à dire un être capable d’entrer en communion par la parole.
Ici nous comprenons à quel point la Parole de Dieu rejoint l’expérience profonde de l’homme, car la précédence du souffle sur la parole est celle qu’éprouve tout petit enfant qui vient au monde et pousse son premier cri, parce que pour la première fois il est traversé par le souffle. D’ailleurs nous ne pouvons parler que parce que nous avons du souffle. Les morts ne parlent plus, parce qu’ils ont rendu leur dernier souffle. Le souffle est la condition nécessaire à la parole, parole bonne et constructive, ou parole médisante et destructrice, car la parole que nous proférons à l’extérieur dépend de l’esprit qui nous habite à l’intérieur. Chaque oiseau chante comme son bec est fait, et chaque homme parle selon son propre souffle.
Il y a donc de bons et de mauvais esprits, et il y a des hommes qui ont bon esprit, et d’autres qui ont mauvais esprit. Il y a l’esprit du Mal et l’Esprit Saint, et notre âme spirituelle est le théâtre du combat des esprits. Hergé l’avait bien compris. Dans Tintin au Tibet, Milou, alors qu’il est fatigué et qu’il meurt de soif, entre dans le combat spirituel. Il est tenté de boire l’alcool qui coule du sac à dos du capitaine Haddock. Le petit diablotin qui lui apparaît lui suggère des pensées malsaines sous l’apparence d’un bien, car le diable s’habille en Prada, il s’avance toujours masqué, sous couvert de bien : « C’est bon, ça, l’alcool ! Ça donne du cœur au ventre ! ». Et Milou entre dans la question du discernement des esprits qui nous fait distinguer l’épreuve, laquelle conduit à la croissance et à la vie, de la tentation, laquelle conduit au péché et à la mort. C’est ici que le ruah hébreu, le souffle de vie, devient le pneuma grec, l’esprit capable de percevoir le sens profond des choses, capable de discerner, l’esprit de Sagesse, de conseil et de connaissance (Is 11, 2).
Père Luc de Bellescize